Écrit il y a plus de 55 ans, « L’Orange
mécanique » d’Anthony Burgess (transposé au cinéma par Kubrick)
appartient-il à la science-fiction ?
Si l’on s’en réfère à la série des exactions
commises par Alex, le jeune narrateur, un antihéros, genre dépravé, on serait
enclin à répondre par la négative. Le mode narratif n’est pas non plus typique
du genre sf. Plutôt un obstacle à la lecture (du moins à sa fluidité), le récit
d’Alex restitue un langage ado, dont le vocable est en grande partie inventé
par l’auteur. Heureusement, la fin du livre propose un glossaire. Burgess était
un linguiste.
En revanche, ce roman peut relever de la
science-fiction si l’on considère sa question centrale et fondamentale :
quelle est la limite entre le déclic mécanique et l’âme humaine ? Que
préférer, l’être libre qui peut choisir le Mal ou l’être réifié (chosifié) qui
penche vers le Bien par réflexe conditionné ? Ainsi peut-on lire : « Tout
homme incapable de choisir cesse d’être un homme » (p. 137, éd. Poche).
En fait, je dirais que ce roman peut s’inscrire dans
un genre qui m’est proche, le genre « conscience-fiction ». Voyez
plutôt.
Un service du Ministère de l’intérieur a conçu une
thérapie de choc qui guérit le criminel et désengorge ainsi les prisons
inutiles. Le traitement radical dégoûte le sujet de tout ce qui est mal. Le
patient devient une sorte de machine, qui, malgré elle, ou plutôt forcée par
les souffrances de son corps dès la tentation, se montre incapable de sombrer
dans le méfait. Un tel homme serait-il encore un homme ? Ne serait-il pas
un humain dégénéré en robot ?
Tout ce récit présuppose que l’acte de choisir
dépend d’une faculté qui caractérise l’humain. Reste posée la question suivante :
très souvent, trop souvent, choisir sa route devant une bifurcation ne
relève-t-il pas d’un réflexe (d’un tropisme, comme le ver de terre qui « choisit »
une galerie plutôt qu’une autre) ou d’un pari, d’un investissement magique ?
La plupart du temps, lorsque l’on tranche, ne coupe-t-on pas court à l’interminable
délibération à laquelle nous condamnent les controverses du genre : « Dans
la solitude, tu te dévores toi-même; lorsque tu es au milieu des gens, tu es
dévoré par plusieurs; choisis ! » (Nietzsche)
En tout cas, L’Orange mécanique a attiré l’inventeur
de HAL, le super ordinateur de 2001, l’Odyssée de l’espace. De plus, l’ouvrage
a le mérite de proposer au lecteur un vaste de champ de méditation sur la
limite entre ce qui est mécanique et ce qui est humain. N’est-ce pas là une
question cruciale aujourd’hui, une question qui obsède la science-fiction ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire