Présentation de Homo Deus, une brève histoire de l’avenir, de
Yuval Noah Harari, Albin Michel, 2017 :
Harari part du principe
que la vie moderne est la poursuite du pouvoir dans un univers vidé de son
sens. Toutefois, une lueur peut venir de l’humanisme, qui, selon lui, est une
religion dont les « conteurs » donnent du sens au monde et à
l’existence.
Historien de la guerre,
Harari s’affiche, dans son dernier livre, comme un humaniste libéral. Au
départ, il expose une vision du monde plutôt optimiste : nos sociétés
contemporaines (il pense aux sociétés occidentales) se sont affranchies de
trois fléaux majeurs : la guerre, les épidémies, la famine.
Il croit que notre
civilisation s’oriente, via les grands pontes de la Silicon Valley, vers la
quête de deux graals : la victoire contre le vieillissement et la clé du
bonheur durable. Ainsi, par cette double quête, l’être humain se glisse-t-il au
niveau des dieux. Comment ? Grâce au génie génétique, au génie cyborg
(avec, par exemple, les nanorobots dans notre sang), et au génie inorganique
inspiré par l’informatique et l’intelligence artificielle.
Qui va vouloir freiner
ce progrès ?
La plupart des grandes
religions n’ont pas grand-chose à dire sur les avancées techniques qu’elles
ignorent, en se tournant vers des textes qu’elles sacralisent. Si la religion
s’intéresse avant tout à l’ordre, la science vise le pouvoir. En tant
qu’institution collective, l’une comme l’autre font passer l’ordre et le
pouvoir avant la vérité. En simplifiant, on peut dire que les lobbies de la
science feront tout pour qu’on n’arrête pas le progrès.
Quelle vision de l’être
humain nous donne la technique contemporaine ?
Tous les organismes
vivants sont réductibles à des algorithmes. Ce constat signe l’arrêt de mort de
l’âme. Il rend aussi difficile de tracer la frontière entre l’animal et l’être humain
et rend insupportable les hécatombes quotidiennes accomplies par les abattoirs
pour nourrir les clients des boucheries.
Néanmoins, Harari
observe une différence notable entre les animaux et l’homo sapiens, c’est la
faculté de coopérer massivement. Cette coopération est rendue possible grâce à
la réalité intersubjective, qui dépend de la communication entre individus,
via, par exemple, l’argent, les dieux,
les valeurs communes. Certaines de celles-ci se rassemblent sous
l’étiquette « humanisme ». Mais il existe trois humanismes,
l’humanisme libéral (dont la valeur suprême est la liberté de l’individu),
l’humanisme socialiste (prônant la collectivisation, au nom de l’égalité) et
l’humanisme évolutionniste. Ce dernier fait peur à Harari, car ce courant
défend la loi du plus fort et valorise le conflit qui renforce les qualités de
celui se bat avec acharnement.
Une victoire de
l’humanisme évolutionniste sur les deux autres pourrait consacrer le triomphe
des êtres artificiels, de plus en plus supérieurs à l’être humain.
Dans la dernière partie
de son livre, Harari observe que les laboratoires mettent à mal les deux
piliers de l’humanisme, l’unité indivisible de l’individu et la liberté de
l’être humain. Freud avait déjà contesté la liberté du choix en révélant
l’existence de l’inconscient. Le psychologue avait aussi remis en question
l’unité psychique en présentant le ça, le surmoi et le moi (sans parler de
l’idéal du moi). Mais ce qui distingue Freud de Harari, c’est que celui-ci
appuie son argumentation en se référant aux dernières découvertes
scientifiques.
Ainsi, par exemple, la
décision est localisable dans le cerveau avant que le sujet ait conscience de
son choix. Donc le choix résulte d’un processus biochimique et non d’une
délibération. L’être humain peut éprouver le sentiment de liberté, mais il ne
peut choisir ses désirs, désirs qui le poussent à agir sans passer par le libre
arbitre.
Même notre personnalité
peut être altérée par la technique. Il existe un casque expérimental qui agit
sur notre cerveau pour améliorer nos performances lors d’une action stressante.
Le dispositif stimule notre attention, notre assurance et notre confiance en
nous.
Qu’en est-il dès lors
de notre conscience ? Selon des expériences psychologiques, on différencie
le moi qui vit la situation, en mémoire immédiate, et le moi narrateur, qui
raconte, donne du sens à ce que je vis et peut prendre des décisions absurdes
pour ne pas perdre la face. On obtient dès lors deux sources d’estimation de la
réalité, chacune orientant à sa façon le jugement, donc l’action.
Qu’il soit humain ou
animal, l’être organique est manipulable par des dispositifs techniques qui
peuvent donner du plaisir à agir selon une volonté extérieure. C’est ce
prouvent les robots-rats contents de tourner à droite, alors qu’ils obéissent à
leur insu à des impulsions de leur expérimentateur.
Restent les cinq sens. Inutile
de rappeler que les machines peuvent percevoir le monde beaucoup mieux que
l’être humains, et sur un spectre plus large que le sien.
Si, sous le regard de
la science, toutes les composantes de ma conscience et ma personnalité
contribuent à dévaloriser l’image de l’être humain, puisque, de toute façon, il
n’y a pas de moi authentique, pourquoi avoir des scrupules à remplacer un être
faible, sans intérêt, par des machines super-performantes ?
Même le
« connais-toi toi-même » peut être remplacé par « connais-toi
par les algorithmes ». Facebook peut déjà identifier nos goûts, nos
préférences mieux que nos amis, notre famille et notre conjoint ou notre
conjointe.
Les Intelligences
artificielles pourront même se substituer
à des professions nobles. Adieux les humains médecins, avocats,
enseignants, journalistes, banquiers ou travaillant au service de la clientèle.
Les « algorithmes non conscients » seront plus performants que les
hommes ou les femmes. Une telle tendance est favorisée par le
« dataïsme », la nouvelle religion qui n’a de Foi que dans les
données (datas). Son dieu est le flux d’informations dénué de toute censure.
Pour elle, tout doit devenir interconnecté. Du coup, l’être humain devient
secondaire.
Une autre voie possible
serait d’augmenter l’homo sapiens de qualités surhumaines. Augmenter ceux qui
en auront les moyens financiers par une meilleure perception, une meilleure
confiance en soi, une meilleure intelligence, une plus grande puissance
musculaire, une meilleure capacité de décision, etc. C’est la doctrine du
techno-humanisme qui vise à améliorer l’homo sapiens dans ses capacités
physiques, sensorielles et intellectuelles.
D’où l’apparition prévisible
d’une nouvelle classe économique : les inutiles, les parasites, qui
n’auront plus rien à faire sur la Terre.
Face à ces vues
futuriste, Harari dénonce trois dangers : 1) entourés de machines, les
êtres humains perdront toute valeur ; 2) leur choix seront meilleurs en
étant guidés par des algorithmes non conscients ; 3) une élite de
surhommes dirigera le monde.
Le techno-humanisme et
le dataïsme semblent ériger en valeur suprême l’Homo Deus. Mais en réalité, cet
Homo Deus, l’Homme Dieu masque l’Homo Res, l’Homme Chose. Le progrès
technologique consacre donc la réification de l’être humain, autrement dit, sa
transformation en objet jetable. C’est l’ultime Chute…
En fin de compte, les
progrès technologiques promettent la réification de l’Homme (sa réduction à une
suite d’algorithmes), à moins qu’un impondérable inconnu, un mystère
insoupçonné ne se manifeste avec humour, par un pied de nez à tout algorithme…
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