mardi 10 octobre 2017

Un essai magistral sur notre avenir.



Présentation de Homo Deus, une brève histoire de l’avenir, de Yuval Noah Harari, Albin Michel, 2017 :
Harari part du principe que la vie moderne est la poursuite du pouvoir dans un univers vidé de son sens. Toutefois, une lueur peut venir de l’humanisme, qui, selon lui, est une religion dont les « conteurs » donnent du sens au monde et à l’existence.
Historien de la guerre, Harari s’affiche, dans son dernier livre, comme un humaniste libéral. Au départ, il expose une vision du monde plutôt optimiste : nos sociétés contemporaines (il pense aux sociétés occidentales) se sont affranchies de trois fléaux majeurs : la guerre, les épidémies, la famine.
Il croit que notre civilisation s’oriente, via les grands pontes de la Silicon Valley, vers la quête de deux graals : la victoire contre le vieillissement et la clé du bonheur durable. Ainsi, par cette double quête, l’être humain se glisse-t-il au niveau des dieux. Comment ? Grâce au génie génétique, au génie cyborg (avec, par exemple, les nanorobots dans notre sang), et au génie inorganique inspiré par l’informatique et l’intelligence artificielle.
Qui va vouloir freiner ce progrès ?
La plupart des grandes religions n’ont pas grand-chose à dire sur les avancées techniques qu’elles ignorent, en se tournant vers des textes qu’elles sacralisent. Si la religion s’intéresse avant tout à l’ordre, la science vise le pouvoir. En tant qu’institution collective, l’une comme l’autre font passer l’ordre et le pouvoir avant la vérité. En simplifiant, on peut dire que les lobbies de la science feront tout pour qu’on n’arrête pas le progrès.
Quelle vision de l’être humain nous donne la technique contemporaine ?
Tous les organismes vivants sont réductibles à des algorithmes. Ce constat signe l’arrêt de mort de l’âme. Il rend aussi difficile de tracer la frontière entre l’animal et l’être humain et rend insupportable les hécatombes quotidiennes accomplies par les abattoirs pour nourrir les clients des boucheries.
Néanmoins, Harari observe une différence notable entre les animaux et l’homo sapiens, c’est la faculté de coopérer massivement. Cette coopération est rendue possible grâce à la réalité intersubjective, qui dépend de la communication entre individus, via, par exemple, l’argent, les dieux,  les valeurs communes. Certaines de celles-ci se rassemblent sous l’étiquette « humanisme ». Mais il existe trois humanismes, l’humanisme libéral (dont la valeur suprême est la liberté de l’individu), l’humanisme socialiste (prônant la collectivisation, au nom de l’égalité) et l’humanisme évolutionniste. Ce dernier fait peur à Harari, car ce courant défend la loi du plus fort et valorise le conflit qui renforce les qualités de celui se bat avec acharnement.
Une victoire de l’humanisme évolutionniste sur les deux autres pourrait consacrer le triomphe des êtres artificiels, de plus en plus supérieurs à l’être humain.
Dans la dernière partie de son livre, Harari observe que les laboratoires mettent à mal les deux piliers de l’humanisme, l’unité indivisible de l’individu et la liberté de l’être humain. Freud avait déjà contesté la liberté du choix en révélant l’existence de l’inconscient. Le psychologue avait aussi remis en question l’unité psychique en présentant le ça, le surmoi et le moi (sans parler de l’idéal du moi). Mais ce qui distingue Freud de Harari, c’est que celui-ci appuie son argumentation en se référant aux dernières découvertes scientifiques.
Ainsi, par exemple, la décision est localisable dans le cerveau avant que le sujet ait conscience de son choix. Donc le choix résulte d’un processus biochimique et non d’une délibération. L’être humain peut éprouver le sentiment de liberté, mais il ne peut choisir ses désirs, désirs qui le poussent à agir sans passer par le libre arbitre.
Même notre personnalité peut être altérée par la technique. Il existe un casque expérimental qui agit sur notre cerveau pour améliorer nos performances lors d’une action stressante. Le dispositif stimule notre attention, notre assurance et notre confiance en nous.
Qu’en est-il dès lors de notre conscience ? Selon des expériences psychologiques, on différencie le moi qui vit la situation, en mémoire immédiate, et le moi narrateur, qui raconte, donne du sens à ce que je vis et peut prendre des décisions absurdes pour ne pas perdre la face. On obtient dès lors deux sources d’estimation de la réalité, chacune orientant à sa façon le jugement, donc l’action.
Qu’il soit humain ou animal, l’être organique est manipulable par des dispositifs techniques qui peuvent donner du plaisir à agir selon une volonté extérieure. C’est ce prouvent les robots-rats contents de tourner à droite, alors qu’ils obéissent à leur insu à des impulsions de leur expérimentateur.
Restent les cinq sens. Inutile de rappeler que les machines peuvent percevoir le monde beaucoup mieux que l’être humains, et sur un spectre plus large que le sien.
Si, sous le regard de la science, toutes les composantes de ma conscience et ma personnalité contribuent à dévaloriser l’image de l’être humain, puisque, de toute façon, il n’y a pas de moi authentique, pourquoi avoir des scrupules à remplacer un être faible, sans intérêt, par des machines super-performantes ?
Même le « connais-toi toi-même » peut être remplacé par « connais-toi par les algorithmes ». Facebook peut déjà identifier nos goûts, nos préférences mieux que nos amis, notre famille et notre conjoint ou notre conjointe.
Les Intelligences artificielles pourront même se substituer  à des professions nobles. Adieux les humains médecins, avocats, enseignants, journalistes, banquiers ou travaillant au service de la clientèle. Les « algorithmes non conscients » seront plus performants que les hommes ou les femmes. Une telle tendance est favorisée par le « dataïsme », la nouvelle religion qui n’a de Foi que dans les données (datas). Son dieu est le flux d’informations dénué de toute censure. Pour elle, tout doit devenir interconnecté. Du coup, l’être humain devient secondaire.
Une autre voie possible serait d’augmenter l’homo sapiens de qualités surhumaines. Augmenter ceux qui en auront les moyens financiers par une meilleure perception, une meilleure confiance en soi, une meilleure intelligence, une plus grande puissance musculaire, une meilleure capacité de décision, etc. C’est la doctrine du techno-humanisme qui vise à améliorer l’homo sapiens dans ses capacités physiques, sensorielles et intellectuelles.
D’où l’apparition prévisible d’une nouvelle classe économique : les inutiles, les parasites, qui n’auront plus rien à faire sur la Terre.
Face à ces vues futuriste, Harari dénonce trois dangers : 1) entourés de machines, les êtres humains perdront toute valeur ; 2) leur choix seront meilleurs en étant guidés par des algorithmes non conscients ; 3) une élite de surhommes dirigera le monde.
Le techno-humanisme et le dataïsme semblent ériger en valeur suprême l’Homo Deus. Mais en réalité, cet Homo Deus, l’Homme Dieu masque l’Homo Res, l’Homme Chose. Le progrès technologique consacre donc la réification de l’être humain, autrement dit, sa transformation en objet jetable. C’est l’ultime Chute…
En fin de compte, les progrès technologiques promettent la réification de l’Homme (sa réduction à une suite d’algorithmes), à moins qu’un impondérable inconnu, un mystère insoupçonné ne se manifeste avec humour, par un pied de nez à tout algorithme…

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