© iStock | Les robots pourraient devenir des
"personnes électroniques"
Texte par
Sébastian SEIBT
Dernière
modification : 23/06/2016
Les robots pourraient devenir des “personnes électroniques” à part entière, responsables en cas d’accident et pour lesquelles il faut payer des cotisations sociales, d’après un document de travail du Parlement européen. Une première.
R2D2 et BB-8 ont-ils des droits et des devoirs ? Et qu’en
est-il de leur constructeur ? Si Georges Lucas et JJ Abrams - les deux
réalisateurs respectifs de la saga des Star Wars - n’ont pas poussé la
réflexion juridique à propos de leurs robots bien loin, il en va tout autrement
du Parlement européen.
La
Commission des affaires juridiques de l’institution européenne s’est penchée
sur cette question dans un projet de rapport publié fin mai.
Cette tentative bruxelloise de proposer un cadre pour définir un statut légal
régissant la vie et l’œuvre des robots part d’un constat simple : “Les ventes
de robots dans l’UE ont augmenté de 29 % en 2014, marquant leur plus forte
progression jamais enregistrée”, selon le document de travail.
Rencontre
juridique du troisième type
“C’est la
première fois au niveau mondial qu’un législateur propose l’instauration d’une
nouvelle notion juridique adaptée au robot : celle de personne électronique
ayant des droits et des devoirs”, souligne Anthony Bem, avocat
spécialisé dans les nouvelles technologies. Ce serait une sorte de
rencontre juridique du troisième type, entre les personnes physiques - statut
réservé aux être humains -, et les personnes morales, un régime qui ne
s’applique qu’aux entités physiquement invisibles.
Les
robots mixeurs ou les robots aspirateurs ne rentreraient pas dans cette
nouvelle catégorie. Il faudrait un petit supplément d’âme défini comme la
capacité à “prendre des décisions autonome de manière intelligente ou celle d’interagir
de manière indépendante avec les tiers”, d’après le texte. “C’est aussi la
première fois qu’un législateur cherche à définir ce qu’est un robot
intelligent”, remarque Anthony Bem.
Le texte
s’intéresse donc à la gamme de plus en plus vaste des robots industriels ou des
compagnons humanoïdes domestiques programmés pour apprendre au contact de leurs
utilisateurs. Ces “personnes électroniques” vont inévitablement “être
impliquées dans des accidents”, prédisent les auteurs du rapport. Il faudra
alors établir la responsabilité des uns et des autres. “La question de la
responsabilité se repose à chaque fois que des nouveaux outils sont créés”,
rappelle l’avocat français. Dans le cas des armes, l’utilisateur répond de ses
actes, et dans celui des voitures, c’est aussi le conducteur qui est le plus
souvent responsable, sauf s’il peut établir que l’automobile avait un défaut de
fabrication à l’origine de l’accident.
Mais “il
peut être difficile de remonter la chaîne de responsabilité jusqu’au
constructeur si une décision d’un robot ‘intelligent’ est à l’origine d’un
accident”, explique Anthony Bem. Le rapport européen préconise ainsi, dans
certains cas, de faire porter le chapeau entièrement à la “personne
électronique”. De quoi soulager les constructeurs, mais inquiéter les victimes.
En effet, qui va payer ? Les parlementaires européens de la commission ont
imaginé un système original : mettre en place un fonds qui serait alimenté par
des taxes prélevées auprès des constructeurs et des utilisateurs.
Taxer les
robots pour sauver les retraites ?
Les
robots vont aussi bouleverser le marché du travail
en “effectuant de plus en plus tâches autrefois dévolues aux humains”, notent
les auteurs du document. Ils en tirent l’une des conclusions les plus
controversées du rapport : ils préconisent de demander aux employeurs de verser
des cotisations sociales pour leurs “personnes électroniques”.
Sans
cela, “c’est la viabilité des systèmes de protection sociale et de retraites
[financés en grande partie par les salariés, NDLR] qui est remis en cause”,
avertissent les parlementaires. Mais, soutient Anthony Bem, l’argument est
juridiquement difficile à défendre : “Lorsqu’on a créé des automates, il n’y a
pas eu de nouvelles charges pour compenser la perte de travail du ‘poinçonneur
des Lilas”, note-t-il. Il reconnaît cependant qu’à moyen ou long terme, il
faudra trouver une solution car le travail des robots va inévitablement
remettre “notre modèle social en cause”. Ce document à, au moins, le mérite de
poser la question.
Ces
propositions de réglementer un secteur qui ressemble encore beaucoup à un Far
West juridique n’est pas au goût de certains acteurs. “Nous pensons que ce
serait trop bureaucratique et que ça freinerait le développement de notre
industrie”, a réagi Patrick Schwarzkopf, représentant de l’association allemande
de l’industrie robotique VDMA, lors d’une conférence de presse.
Il est
d’autant moins enthousiaste que le document comporte un chapitre entier
consacré à la création d’une “charte éthique” pour les développeurs de robots.
Elle liste un certain nombre de grands principes auxquels les industriels
seraient priés d’adhérer, comme l’obligation de ne créer que des robots
“bienfaisants” ou la nécessité de proposer des robots à des prix abordables
dans certains domaines comme la santé. Patrick Schwarzkopf estime que les
termes sont flous et pourraient entraîner trop de contraintes.
Cet
argument - les règles seraient un obstacle à l’innovation - ne convainc pas
Anthony Bem. Il souligne, notamment, que réglementer ce domaine sera une
nécessité au vu des implications de la robotique. Il vaut mieux, selon lui, s’y
prendre tôt que trop tard, lorsque le mal est fait.
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