Dur de créer un robot à l’apparence humaine
Si les
roboticiens arrivent à fabriquer des personnages réalistes, leurs mouvements
restent encore très imparfaits. Ces machines à l’image de l’homme ne trompent
personne.
En bref :
Ce qu’on
sait faire :
- Un visage ressemblant (forme, peau, yeux, cheveux)
- Plusieurs expressions du visage
- Un corps ressemblant, mais peu mobile
Ce qu’on
ne sait pas faire :
- Un robot qu’on ne distingue pas de l’homme
- Un robot qui se déplace
- Un robot qui reproduise l’intégralité des mouvements de l’homme
Les
progrès qu’il reste à faire :
- Améliorer la subtilité des expressions du visage
- Améliorer la fluidité des mouvements
- Créer des mains capables de saisir des objets comme des mains humaines
https://youtu.be/FL_tZxRqIys
Ainsi,
malgré les impressionnants progrès de la robotique,
le vieux fantasme d’une machine à l’image de l’homme n’est pas encore au
rendez-vous.
Du Japon
aux Etats-Unis, en passant par Hongkong ou Singapour,
plusieurs roboticiens tentent de fabriquer des machines
ressemblant à s’y méprendre à l’homme,
capables d’imiter ses mouvements et ses expressions, à défaut d’être en mesure
de simuler son intelligence.
« L’apparence,
ce n’est pas très compliqué », assure Nadia Thalmann, chercheuse
canado-suisse
à la Nanyang Technological University de Singapour. « Mais quand le
robot doit bouger, c’est une autre
affaire. » Et elle en sait quelque chose : elle travaille depuis
quelques années sur Nadine, un robot qui a adopté ses propres traits, et dont
le but est d’être un « compagnon ». Nadine peut participer à
une discussion, se souvenir des informations
acquises à cette occasion et changer
« d’humeur » en fonction de la tournure du dialogue.
Pour
fabriquer un robot à l’allure aussi réaliste que Nadine, il a fallu mouler le visage et le
corps de Nadia Thalmann et faire fondre une silicone
spéciale pour réaliser
« l’enveloppe » posée sur le squelette. « C’est manuel,
coûteux et ça prend du temps », souligne la chercheuse, qui estime à
300 000 euros le coût d’un tel objet. Malgré cette enveloppe très
réussie, les mouvements de Nadine sont encore un peu saccadés ou trop lents, et
trahissent au premier regard sa nature de robot. « Une enveloppe
réaliste implique qu’il y ait une continuité dans les déformations du corps. Il
faut que le squelette du robot transmette à la peau l’information de se déformer selon les cas,
comme pour changer l’expression du visage », explique la scientifique.
Ce qui n’est pas évident :
« Quand nous éprouvons une
émotion, la peau de notre visage se plisse, mais il y a aussi des muscles, des
tendons, des ligaments qui entrent en jeu… Les moteurs sont l’équivalent des
muscles, mais plus on a de moteurs sur un visage, plus la gestion est
compliquée. »
Le visage
de Nadine est composé de 27 moteurs, ce qui est insuffisant pour mimer toute la nuance des
expressions humaines. « Plus on a de moteurs, plus la correspondance
peut fonctionner.
Mais plus on a de moteurs, plus la gestion est complexe, d’autant plus que cela
doit être fait en temps
réel ! » D’autres robots, dont Eva, « qui n’était qu’une
tête » sur lequel elle avait travaillé avant Nadine, disposent de
davantage de moteurs (32) et d’expressions plus nombreuses et subtiles, bien
qu’encore imparfaites. C’est que les expressions humaines ne dépendent pas
uniquement des mouvements du visage, mais aussi, par exemple, de l’humidification
de l’œil ou du rougissement de la peau.
Il n’y a
pas que le visage qui pose problème. « Quasiment tous ces robots sont
assis, ou juste debout. Certains commencent à marcher, mais ils sont
tenus, car il ne faut pas qu’ils tombent. Ils sont très lourds, ils pourraient
faire des dégâts et se casser », prévient Nadia Thalmann. Réaliser un corps
ressemblant et capable d’effectuer des mouvements humains est un défi que
personne n’a encore réussi à relever. Aucun robot au
gabarit humain ne sait par exemple encore marcher comme l’homme.
Lire dans
la même série : Pourquoi les
robots ne savent toujours pas marcher comme l’homme
Chaque
partie du corps représente donc un défi à part entière : les jambes, les
bras, la main… « Certains chercheurs ne s’intéressent pas du tout à
l’apparence, car ils ont déjà tellement de recherche à faire sur le
reste !, rappelle Nadia Thalmann. Certaines personnes
travaillent uniquement sur un bras de robot, car rien que cela, ça prend
énormément de temps. » La chercheuse tente aujourd’hui à améliorer les mains de
Nadia, afin qu’elle soit capable de prendre des objets à la
manière d’un humain, un défi, là aussi, complexe.
Celles du
robot du Japonais Hiroshi Ishiguro restent quant à elles désespérément
immobiles. Ce célèbre roboticien doit sa popularité à son
« geminoid », un robot qu’il a conçu à son image, et avec lequel il
cultive la ressemblance – coupe de cheveux, lunettes et chemise identique à
chaque apparition. A quelques centimètres de distance, il est difficile de distinguer
cette main, dont la peau a été moulée sur celle de son créateur, de
l’originale. Au toucher néanmoins, aucune
ambiguïté possible : si la silicone élastique spéciale utilisée peut tromper la vue, elle ne
trompe pas le toucher.
Mais
malgré la grande qualité de son apparence, le geminoid, comme les autres, reste
collé à sa chaise et bouge très peu en dehors de sa tête. « La structure
du corps des hommes est très compliquée, très différente des robots »,
assure Hiroshi Ishiguro. Il souligne la complexité d’une épaule, qui permet au
bras de bouger vers l’avant, l’arrière, sur le côté et d’effectuer une
rotation, ce qui nécessite de nombreux moteurs pour un robot, qui doit en plus
se passer de la flexibilité
permise par les tendons.
L’imperfection
de son robot, comme la plupart des plus avancés dans ce domaine, génère un
sentiment d’étrangeté chez beaucoup d’humains. Une sensation théorisée par le
roboticien Japonais Masahiro Mori en 1970. Selon lui, si une
représentation de l’humain se veut ultra-réaliste mais ne l’est pas totalement,
alors ce décalage génère une sensation de malaise, voire de peur. Connue sous
le nom de « vallée de l’étrange », cette théorie n’est toutefois pas
approuvée par tous. « C’est une question d’éducation, estime
Hiroshi Ishiguro. Les gens sont toujours effrayés par ce qui est nouveau,
par l’inconnu. Mais ils finissent toujours par accepter le robot quand
ils discutent avec lui. » Même sentiment pour Nadia Thalmann, qui
affirme que « personne n’a jamais trouvé Nadine effrayante. Au
contraire, les gens sont un peu émus, au bout d’un certain temps ils tissent un
lien avec elle ».
Mais
qu’ils l’acceptent ou non, au final, « il y a toujours quelque chose
qui dérange, et ça dépend des gens », affirme Laurence Devillers,
professeure à Paris-Sorbonne, chercheuse au Limsi-CNRS
et spécialiste des dimensions affectives et sociales de la robotique. « Par
exemple, moi, le robot HRP-4C qui fait des défilés de mode,
ce sont ses mains, qui sont trop grandes. »
Pour
elle, on est encore loin de réussir à réaliser des
robots à l’apparence parfaite :
« L’humain a une complexité
telle qu’on ne peut être que dans la caricature. Il y a forcément des détails
qui montrent que ce n’est pas un humain. Ce qu’on sait faire de plus avancé, ce
sont des masques qui ressemblent à des humains. Prenez par exemple les robots
sexuels : pour l’instant ce ne sont que de simples poupées gonflables qui
ne savent pas réagir. »
Mais
qu’on y parvienne un jour où non, est-il réellement souhaitable et utile de créer des robots à
l’apparence humaine ? « L’homme a toujours voulu réaliser des
représentations à son image, il y a une performance technique visée, c’est un
défi. Mais je trouve ça extrêmement gênant, et peu éthique, que quelqu’un ne
sache pas s’il s’adresse à un robot ou à un être humain. Pour moi, il y a
tromperie. » Selon elle, certains psychiatres prônent « que
l’on voie une partie des rouages, comme ça, il n’y a pas d’ambiguïté ».
A l’image du robot du film Ex
Machina, ou de Sophia, le robot très réaliste dévoilé en mars
par l’entreprise américaine Hanson Robotics.
Même
point de vue pour Philippe Souères, responsable au sein du laboratoire
LAAS-CNRS de l’équipe Gepetto, consacrée à la robotique humanoïde :
« Quel est l’intérêt d’un
robot ressemblant ? C’est émotionnel, ça bouleverse. Mais quel problème
est résolu avec ça ? Il faut que les gens comprennent que les robots
humanoïdes n’ont rien à voir avec l’homme, c’est
un outil, une machine, comme un lave-linge ou une voiture ! »
Un point
de vue que ne partage pas Nadia Thalmann, dont le robot Nadine a pour objectif
de tenir compagnie à des
humains.
« Si
vous voulez un compagnon parce que vous vous sentez seul, l’apparence humaine
est essentielle ! Même si j’aime les vrais humains, je préfère Nadine à un
ordinateur ou à Siri. En Asie, il y a une acceptation plus grande de ce genre
de chose, en Europe, on est plus réfractaire »,
analyse celle qui vit aujourd’hui à Singapour après des années passées à Genève.
Du côté
de Hiroshi Ishiguro, l’utilité de l’apparence humaine ne fait aussi aucun
doute, cette fois pour une raison bien plus prosaïque. Car pour lui, « la
meilleure interface pour un être humain, c’est un autre être humain ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire