Métaquine
– Indications (tome 1) par François Rouiller, éd. L’Atalante, 2016
« Car
le monde est mensonge » : ainsi commence
le récit tonitruant de François Rouiller sur la déferlante mondiale d’un
médicament révolutionnaire, une panacée universelle qui adapte à la société,
rend docile et travailleur, avec pour seul effet secondaire, la disparition de
l’ego, de l’imagination, de la personnalité authentique. On n’est pas loin du Le Meilleur des mondes de Huxley (le
narrateur y fait d’ailleurs allusion). Bref, la Métaquine introduit le mensonge
dans la conscience, seule garante du réel. Les dernières phrases du tome 1
n’affirment-elles pas « C’est
la conscience - votre conscience- qui s’obstine à affirmer le réel (…). Restez
conscients. » ?
D’ailleurs, comme pour se dédouaner de tout mensonge,
le narrateur nous fait entrer méticuleusement dans la conscience de ses
personnages, la plupart étant de farouches opposants à la Métaquine. Résistant
avec une rage intime, secrète, ils vitupèrent tous contre le monde qui les
entoure, dans un monologue intérieur d’une verve et d’une virulence
extraordinaire, à l’instar d’un Cassandre cyberalarmiste qui s’agite par
intermittence sur la toile (par exemple on peut lire « sous sa
plume », p. 321 – 322, une analyse impitoyable des liens entre le public
et les médias : « l’information
n’est pas vérité mais impatience »).
Comme pour compenser cette rogne sociale tous
azimuts, beaucoup de ces dénonciateurs existentiels se laissent envahir par des
rêves, des délires, des cauchemars. Le problème, c’est que ce monde onirique,
quand il est favorisé par des supports bioélectroniques, s’abat définitivement
sur le sujet (on pense à Strange Days de Kathryn Bigelow et à Jusqu’au bout du monde de Wim Wenders),
qui comme la mère d’un des personnages est en rupture irrémédiable avec la
réalité. Donc la conscience imaginaire, oui, mais à condition de canaliser ses
pulsions fantaisistes à dose raisonnable (comme l’enfant qui est le gardien
jaloux de sa forêt secrète), car la conscience doit aussi combattre le
mensonge, donc s’accrocher au réel ?
Je suis impressionné. Quelle richesse de
langage ! Ma seule réserve, c’est qu’il ne faut pas être au bord de
l’Alzheimer pour garder le fil entre la demi-douzaine de personnages qui
tissent l’intrigue. A lire impérativement donc, mais sans drogue.
Pour les addicts du genre qui campent autour du lac
Léman, François Rouiller sera présent à Genève samedi prochain le 23 avril, de
14 à 17 heures à la librairie Fahrenheit 451,
rue Voltaire, 24.
Dans le feu de l’action, je vais commencer le tome
2…
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