De nos jours, ce qui stimule le progrès scientifique, ce
qui accélère l’inventivité, c’est l’émulation qui émerge de la concurrence
entre chercheurs et expérimentateurs. Jadis, la course vers la lune avait été
accélérée par la guerre froide entre deux blocs politico-militaires antagonistes.
Aujourd’hui, bien des triomphes en science se nourrissent de la guerre des
brevets ou de la notoriété. Dès qu’au moins deux équipes de génies sont en
compétition pour trouver la première la solution à un problème, on peut être
sûr que l’heureux résultat sautera tôt ou tard comme un bouchon de champagne
annonçant la fortune ou la célébrité. Les managers et les coaches de la science
encouragent leurs teams à la pointe en flattant leur ego, en visant le prix
Nobel encensé comme la manne d’or.
Illustration :
(dans Le Temps du 22-02-16, article d’Olivier Dessibourg)
Guerre des
brevets pour la «chirurgie du gène»
Une nouvelle et révolutionnaire technique de
génie génétique, nommée Crispr-Cas est au cœur de l’une des plus grosses
disputes scientifico-économiques depuis longtemps. Des milliards sont en jeu.
Avec des ramifications jusqu’en Suisse
C’est la bataille de la décennie dans
le monde des biotechnologies. Une nouvelle méthode de génie génétique
est au coeur d’une guerre de brevets sur laquelle la
justice américaine vient d’accepter de se prononcer. Une dispute d’une rare
ampleur, qui se raconte comme un polar scientifico-économique, avec son
intrigue, ses implications pour l’avenir de la médecine, ses enjeux financiers
faramineux, ses protagonistes charismatiques ou mystérieux, présents pour beaucoup
à la récente conférence scientifique AAAS,
à Washington. Une affaire dont le décor se situe
surtout aux Etats-Unis, mais avec des ramifications en Europe et
en Suisse.
Les acteurs
Martin Jinek est aujourd’hui professeur de biochimie à
l’Université de Zurich. Son post-doctorat, il l’a fait dans le groupe de
biologie moléculaire de Jennifer Doudna, à l’Université de Californie à
Berkeley. C’est à cette institution et à sa professeure qu’il a dû, selon les
règles, céder les droits de la découverte qu’il coréalise. Et quelle
découverte! Celle d’une manipulation permettant, comme avec
des ciseaux et de la colle, de sectionner l’ADN de cellules et d’y
glisser un gène externe, doté des propriétés souhaitées. De quoi imaginer
une palette d’applications: de l’amélioration de semences agricoles aux
«bébés sur mesure», en passant par des cobayes génétiquement modifiés
pour mieux étudier les maladies. Une révolution, tant cette technique de
«couteau-suisse biologique», baptisée Crispr-Cas, est simple, précise, rapide
et peu coûteuse.
Le groupe américain n’a pas fait cette trouvaille par hasard. Il a été
mis sur sa piste par Emmanuelle Charpentier, microbiologiste française
travaillant aujourd’hui au Max-Planck Institut de Berlin et à l’Université
suédoise d’Uméå. Celle-ci a décrit comment certaines bactéries
bloquent des virus qui veulent y infiltrer leur matériel
génétique. Une parade dont la chercheuse peinait toutefois à décrire seule
la structure des armes utilisées, des enzymes et des protéines; elle a donc
approché le groupe Doudna, dont c’était la spécialité. Le
trio Doudna-Charpentier-Jinek, publie alors en 2012 un article retentissant
dans la revue Science, qui explique la
technique Crispr-Cas, basée sur ce système de défense bactérien. Les deux
professeures reçoivent pour cette avancée moult prix, et on leur prédit le
Nobel.
Presque simultanément, un autre chercheur, Feng Zhang, au Broad Institute du
MIT de Boston, utilise aussi Crispr-Cas pour l’appliquer, lui, à des
cellules ayant un noyau (encaryotes), à l’inverse des bactéries. En
l’occurrence des cellules humaines et de souris. Et c’est là que la
bataille commence.
L’imbroglio
Vu ses promesses, la technique Crispr-Cas et ses dérivés ont déjà fait
l’objet d’une myriade de brevets de détails. Les investisseurs se pressent
pour placer leurs milliards de billes sur les firmes qui se profilent dans
cet Eldorado biotechnologique. Mais pour la paternité-même de la méthode et son
exploitation commerciale, le débat fait rage. (...)
(l'article entier à lire dans Le Temps)
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