Ancien professeur de français, j’ai eu le privilège
d’enseigner 16 ans dans le cadre de la formation continue de la faculté des
lettres, à l’Université de Genève. Mes modules portaient sur l’argumentation et
sur la psychologie (affective et cognitive) de la composition. Inscrits dans
les cours « Techniques de la communication écrite », mes étudiants
cherchaient à améliorer leur prestation rédactionnelle dans leur vie
professionnelle. Cependant, plus de la moitié d’entre eux cultivaient un jardin
secret : poésie, nouvelle, roman, journal intime, etc. En effet, comme on
peut facilement le vérifier, depuis deux décennies, se répand un véritable
engouement pour l’écriture...
D’où l’interminable file de rédacteurs contemporains en
quête de publication ! Quand une maison d’édition traditionnelle reçoit
chaque jour des dizaines d’offres, quand les petits éditeurs sont saturés de
manuscrits au point qu’il doivent fermer toute soumission parfois pour les deux
prochaines années, quand sur Facebook,
dans les groupes d’auteurs, défilent les annonces de publication (souvent des
auto-publications) seulement lues en diagonale par leurs pairs (sauf
exceptions), quand les journalistes critiques littéraires sont débordés par les
livres qui attendent que leur existence soit signalée, de fait, alors, dans un
tel foisonnement d’appels à la reconnaissance « littéraire », se
creuse un vide entre le monde des lecteurs et cette partie du monde des
écrivains absorbée par un gigantesque tourbillon de bruit créatif.
Et cette nébuleuse de poètes, de nouvellistes, de romanciers
semble engloutir également les auteurs qui ont réussi à obtenir un contrat
d’édition à compte d’éditeur. Rien qu’à Genève, j’estime à environ un millier
le nombre d’écrivains publiés qui espèrent un public de lecteurs. Les petits
éditeurs français ne peuvent se permettre les tarifs exorbitants du Salon du
livre genevois ou des distributeurs suisses. La plupart des librairies, Payot
en tête, refusent les dépôts d’ouvrages. Résultat : vous êtes édité, mais
personne ne le sait.
Reste la question: comment, désormais, simplement
inviter des inconnus à ouvrir les pages de vos écrits (en supposant modestement
que ceux-ci ne fassent pas partie de l’ivraie) ?
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