jeudi 4 février 2016

Trop de créativité?



Ancien professeur de français, j’ai eu le privilège d’enseigner 16 ans dans le cadre de la formation continue de la faculté des lettres, à l’Université de Genève. Mes modules portaient sur l’argumentation et sur la psychologie (affective et cognitive) de la composition. Inscrits dans les cours « Techniques de la communication écrite », mes étudiants cherchaient à améliorer leur prestation rédactionnelle dans leur vie professionnelle. Cependant, plus de la moitié d’entre eux cultivaient un jardin secret : poésie, nouvelle, roman, journal intime, etc. En effet, comme on peut facilement le vérifier, depuis deux décennies, se répand un véritable engouement pour l’écriture... 

D’où l’interminable file de rédacteurs contemporains en quête de publication ! Quand une maison d’édition traditionnelle reçoit chaque jour des dizaines d’offres, quand les petits éditeurs sont saturés de manuscrits au point qu’il doivent fermer toute soumission parfois pour les deux prochaines années, quand sur Facebook, dans les groupes d’auteurs, défilent les annonces de publication (souvent des auto-publications) seulement lues en diagonale par leurs pairs (sauf exceptions), quand les journalistes critiques littéraires sont débordés par les livres qui attendent que leur existence soit signalée, de fait, alors, dans un tel foisonnement d’appels à la reconnaissance « littéraire », se creuse un vide entre le monde des lecteurs et cette partie du monde des écrivains absorbée par un gigantesque tourbillon de bruit créatif.

Et cette nébuleuse de poètes, de nouvellistes, de romanciers semble engloutir également les auteurs qui ont réussi à obtenir un contrat d’édition à compte d’éditeur. Rien qu’à Genève, j’estime à environ un millier le nombre d’écrivains publiés qui espèrent un public de lecteurs. Les petits éditeurs français ne peuvent se permettre les tarifs exorbitants du Salon du livre genevois ou des distributeurs suisses. La plupart des librairies, Payot en tête, refusent les dépôts d’ouvrages. Résultat : vous êtes édité, mais personne ne le sait.


Reste la question: comment, désormais, simplement inviter des inconnus à ouvrir les pages de vos écrits (en supposant modestement que ceux-ci ne fassent pas partie de l’ivraie) ?

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