jeudi 11 février 2016

Pourquoi des robots émotifs?

Damasio m'a amené à croire que le futur connaîtra le robot émotif, ce que dément actuellement la plupart des spécialistes. Sans émotion, la raison tourne à vide quand elle doit juger et décider.
"En effet, ce qui manque encore à nos banals robots actuels, programmés en « IA » (intelligence artificielle), ce n’est pas le raisonnement, mais c’est la « RA » ou la réflexion artificielle. Or, pas de réflexion sans l’intime liberté de peser le pour et le contre, ce qui requiert le jugement de valeur. Bien sûr, pas de jugement de valeur, sans une once de réaction affective." (extrait de l'avertissement dans mon dernier recueil de nouvelles)


Ci-dessous, une interview de Damasio, spécialiste de la conscience et des émotions:



Neurobiologie Le Temps vendredi 29 octobre 2010
A la source de la conscience, l’émotion


Comment l’homme a-t-il développé une conscience très sophistiquée de lui-même? Interview
En montrant comment les émotions sont au cœur de notre organisation sociale et cognitive, il a donné aux neurosciences leur supplément d’âme. Mondialement connu pour ses travaux théoriques et expérimentaux, le neurobiologiste portugais Antonio Damasio, directeur de l’Institut du cerveau et de la créativité à l’Université de Californie du Sud (Los Angeles), explore inlassablement les liens entre le corps et l’esprit. Dans son dernier ouvrage, L’Autre Moi-Même*, il tente de cerner l’ensemble des processus biologiques et évolutifs qui ont abouti, chez l’homme, à la conscience et à la notion de soi.
– Le premier chapitre de votre livre s’intitule «Redémarrage». Pourquoi?
Antonio Damasio: Parce que ma réflexion sur les découvertes récentes des neurosciences m’a conduit, ces dernières années, à un profond changement de point de vue. Sur l’origine et la nature des sentiments, comme sur les mécanismes sous-jacents à la construction du soi. Il y a encore dix ans, je me préoccupais avant tout, comme tous les neurobiologistes, de comprendre ce qui se passe dans le cortex cérébral. Or je suis désormais persuadé que les fondements de la conscience ne se situent pas dans le cerveau, mais dans le tronc cérébral. On a longtemps cru que cette structure, située au-dessus de la moelle épinière, était un simple centre de passage des voies motrices et sensitives qui relient le corps et le cerveau. Mais elle se révèle bien plus essentielle que cela: c’est à son niveau que prennent naissance les sentiments primordiaux – par exemple ceux du plaisir ou de la douleur.
Quelle importance cela a-t-il?
– Le tronc cérébral étant une partie ancienne du cerveau que nous avons en commun avec bien d’autres espèces, cette découverte jette un grand «pont» biologique entre les organismes qui n’ont pas de cerveau et ceux qui en ont un. Les sentiments et la conscience trouvent leur origine chez des organismes très simples, y compris des êtres unicellulaires comme l’amibe ou la bactérie! Car même sans cerveau, la petite amibe va chercher de l’énergie, la transformer, se défendre des attaques, saisir des opportunités, selon des principes de régulation qui, bien plus tard dans l’évolution, feront émerger la conscience.
– A quoi sert alors le cerveau?
– Avant de parler du cerveau, il faut parler de la conscience. Celle-ci donne aux espèces qui en sont dotées la possibilité, à un très haut niveau, d’organiser leur survie de façon efficace – et à l’espèce humaine la possibilité de rechercher son bien-être. Et l’évolution de la conscience s’est faite en plusieurs étapes dans le règne animal.
– Lesquelles?
– Il y a d’abord la conscience «noyau»: une forme de conscience interne, sans mémoire profonde, qui permet à l’animal d’appréhender son environnement à travers son système nerveux et sensoriel. La conscience «autobiographique», ensuite, permet aux animaux supérieurs, tels que les mammifères et les oiseaux, de garder en mémoire des expériences passées, de disposer d’objets mentaux, d’éprouver des émotions. La conscience «étendue», enfin, peut être attribuée aux grands singes, qui se perçoivent eux-mêmes comme sujets pensants et agissants. Et puis, il existe la conscience «de soi»: la nôtre.
– Comment le cerveau rend-il l’esprit conscient?
– C’est la grande question. Tout au long de l’évolution des mammifères, notamment des primates, l’esprit devient de plus en plus complexe. La mémoire et le raisonnement s’étendent, le processus du soi prend de l’ampleur. Jusqu’à ce que survienne le cerveau humain, qui permet, en association avec la conscience autobiographique, l’apparition du langage. Il devient alors possible aux humains de créer la culture, et d’organiser leur survie selon des principes qui ne sont plus seulement biologiques. La culture nous libère de l’esclavage de la biologie.
– Vous venez de recevoir le prestigieux prix annuel de la Fondation japonaise Honda pour vos travaux pionniers dans le domaine des neurosciences, notamment pour votre théorie des «marqueurs somatiques». De quoi s’agit-il?
– C’est une théorie que j’ai élaborée dans les années 1980, lorsque j’ai commencé à soupçonner que les émotions jouaient un rôle très important dans nos comportements cognitifs. J’avais fait, à cette époque, une rencontre déterminante avec un malade âgé d’une trentaine d’années qui venait de subir une opération du cerveau. Il n’en avait gardé aucune séquelle apparente, mais il avait subi un changement radical de personnalité. Il était formidablement intelligent, mais ses décisions étaient complètement étranges et déraisonnables. Or ce malade semblait ne plus ressentir d’émotions. C’est alors que j’ai commencé à développer l’idée des marqueurs somatiques, selon laquelle nos raisonnements se fondent, en partie, sur une échelle de valeurs dictée par nos émotions. Si on a vécu quelque chose avec beaucoup d’enthousiasme, ou de peur, cette expérience laissera dans notre chaîne de pensée une sorte d’empreinte, qui sera ensuite déterminante dans la qualité des décisions que nous prendrons.
*«L’Autre Moi-Même. Les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions», Editions Odile Jacob, 416 pages.





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